Skip to content Skip to left sidebar Skip to right sidebar Skip to footer

News

Haïti à la croisée des tentations panafricaniste et eurasiatique

Dépasser l’hypocrisie d’une posture anti-impérialiste par une unité tournée vers un pragmatisme assumé.

Par Mickelson THOMAS

Nous saluons respectueusement Monsieur Kémi Séba, dont une déclaration controversée, parmi les moins polémiques, mais non moins essentielle, constitue le point d’ancrage de notre propos. En effet, lors de sa conférence au Cap-Haïtien, l’activiste a présenté, avec la verve qu’on lui connait, le « panafricanisme » comme « l’ultime option » pour la reconstruction de notre pays.

Affirmation aussi péremptoire que séduisante, qui mérite une analyse débarrassée de rhétoriques creuses et simplistes, d’amalgames et raccourcis dangereux, d’autant qu’elle semble avoir occulté quelques paramètres historiques et géopolitiques. Regrettable omission.

Qu’on songe notamment au blocus occidental postindépendance et aux choix de gouvernance de Jean-Jacques Dessalines dans la perpétuation des modes coloniaux d’exploitation qui ont engendré des fractures sociales clivantes, instrumentalisées par une élite oligarchique, plus soucieuse de ses intérêts claniques que du destin collectif – qui l’a d’ailleurs assassiné, entravant depuis, la construction de l’État-nation, et compromettant irrémédiablement notre souveraineté conquise par la consistance de notre détermination.

Conséquence inévitable, aucun de ceux qui se sont succédé au plus haut niveau de l’État, n’a su incarner l’intransigeance anticolonialiste – de nos jours, on dirait « anti-impérialiste » – du Père fondateur de la nation, aboutissant, ultérieurement, à la capitulation face à la demande de compensation financière déshonorante de 1825, et au vécu d’autres épisodes historiques non moins douloureux. Confinés dans l’angle mort d’écrits qui masquent la complicité des élites de l’époque dans leur propre reddition, asservissement, voire avilissement, Michel Rolph Trouillot soulignera avec justesse : « la capitulation de 1825 fut moins une défaite militaire qu’une trahison de l’esprit de 1804 par une oligarchie déconnectée du peuple. »

En outre, notre éloignement de l’Afrique – mère originelle mais en crise permanente – couplée à notre relation non-apaisé avec l’ex-puissance coloniale française, ont confiné Haïti dans un isolement géographique et culturel dans l’espace caribéen, dont la réalité contraste fortement avec les voisins hispanophones –notamment la République Dominicaine – qui bénéficient du parrainage privilégié de leur mère adoptive, l’Espagne.

Aussi, avant de succomber aux séductions idéologiques dépourvues de réalisme diplomatique, les dirigeants haïtiens doivent-il définir clairement leurs priorités stratégiques, en se posant les questions, non exhaustives, suivantes :

  • Quelles options de coopération Haïti a-t-elle déjà exploitées, avec cohérence, constance et lucidité depuis 1804 pour qu’aujourd’hui, le PANAFRICANISME soit proposé comme le dernier recours ?
  • L’option eurasiatique sino-russe est-elle envisageable à ce tournant de notre histoire ?
  • Notre salut ne pourrait-il pas alors se dessiner plutôt dans un partenariat exigeant, renforcé et réaliste avec notre puissant voisin, les États-Unis d’Amérique, malgré toutes les nuances et les complexités qu’une telle décision impose ?

La réponse à la première question serait que la coopération haïtienne a été, dès 1804, fortement tributaire de contraintes exogènes et de rapports de force asymétriques tout au long de son histoire. Paralysée initialement par l’isolement diplomatique des puissances coloniales jusqu’à la reconnaissance tardive des États-Unis (1862), elle a vécu des interférences récurrentes (occupations, rapports de diktats, missions dites de solidarité internationale, etc.). Reconnaissons que jusqu’à date, ces interventions ont surtout créé des dynamiques de dépendance chronique, torpillé toute velléité et stratégie de coopération cohérente et souveraine qui tendrait à justifier pourquoi l’activiste Kemi Seba eût proposé le « PANAFRICANISME » comme un recours compensatoire à l’instabilité, sinon l’échec de notre coopération internationale.

À la deuxième question, la tentation de se tourner vers la coopération eurasiatique sino-russe suscite un intérêt croissant au regard des réalisations, dans certains pays africains, fortement médiatisées. Toutefois, notre conviction est faite ; ce que d’aucuns ont tendance à considérer comme de la générosité répond, tôt ou tard, à la logique diplomatique implacable du « do ut des » qui cache des revers et des risques substantiels, tels des endettements opaques, la dépendance technologique, voire, une altération de la souveraineté politique. La prudence et le discernement s’imposent comme boussoles pour éviter la répétition de nouveaux schémas impérialistes dont nous essayons de nous éloigner.

En réponse à dernière interrogation, une réalité avérée semble indiquer que la voie d’une relation renouvelée, mais exigeante, avec les États-Unis serait à explorer d’autant que le poids démographique et économique de la diaspora haïtienne qui y vit (1,5 million de personnes) représentent 30 % du PIB national. L’interdépendance économique, serait-elle encore à établir dans cet espace géographique constraint qui scelle le destin partagé entre les deux nations ? La réponse se trouve bien évidemment dans les choix que nous entendons faire.

Cependant, cette perspective de coopération, malgré le constat précédent, suscite une interrogation qui revient de manière itérative, tant du citoyen lambda que de l’observateur avisé : Comment une superpuissance dotée de services de renseignements autant sophistiqués et éprouvés peut-elle laisser partir et transiter sur son sol et de ses frontières technologiquement contrôlés, des armes létales vers des groupes désormais terroristes qui déstabilisent Haïti ? Cette question offrira, sans nul doute, une opportunité à l’Ambassadeur américain en Haïti Henry Wooster, de réengager un dialogue, nous le souhaitons, autour de ces préoccupations, sur des bases renouvelées et de bénéfice mutuel.

Quant au PANAFRICANISME, il demeure une option louable mais, peut-il, aujourd’hui apporter les garanties d’une prise en compte immédiate de la problématique sécuritaire indispensable à la réalisation d’élections d’hommes et de femmes honnêtes et responsables, capables de s’accorder sur un document de développement stratégique à horizon de la prochaine génération, définissant clairement les priorités nationales ?

Nous constatons, le regard sceptique, que l’idéal panafricain peine, à lui-seul, à écarter les écueils et à surmonter les nombreux défis politiques et économiques sur lesquels buttent encore certains pays africains qui ont fait des choix courageux qui forcent notre respect.

Avec la France, le combat pour la réparation liée à la dette de l’indépendance, bien que légitime, exige qu’Haïti parle d’une seule voix, unie autour d’institutions solides, d’une société civile réconciliée et d’un projet de développement crédible, cohérent et soutenu par la nation. L’histoire ne concède rien à ceux qui négocient en posture de supplication. On obtient uniquement ce que l’on sait négocier avec dignité et lucidité, car négocier dans une position d’imploration est le chemin le plus court vers l’échec. Mon père se plaisait à nous répéter « La négociation est un duel où seuls triomphent ceux qui parlent debout ».

Or, aujourd’hui, plus de deux siècles après notre indépendance, nous assistons – impuissants que nous devrions pas être – au tragique scénario récurrent d’élites de tous horizons divisées et motivés par la cupidité, de groupes armés occupant l’espace laissé vacant par un État défaillant, et des hommes, femmes et enfants qui souffrent de la dictature d’un quotidien, dans l’indifférence de ceux censés les servir.

À la lumière de ce triste constat, nous recommandons sans ambages, sans être un brin cliché, que nos dirigeants se départissent de leurs postures idéologiques hypocrites, simplistes et avaricieux pour assumer leurs responsabilités en mettant de côté leur attitude de marronage habituel.

Postulons que la stabilité en Haïti serait vraiment souhaitée par les É-U, alors qu’ils s’engagent dans un dialogue clair et concret avec leurs représentants, en mettant intelligemment en avant notre proximité géographique, nos intérêts communs en matière de sécurité, de migration, de lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée, ainsi que les atouts positifs de notre diaspora […] ?

Au terme de ces considérations essentielles, d’autres questions, que nous laisserons à votre sagacité le soin de débattre, émergent :

  1. Ne faudrait-il pas envisager une forme de nouvelle indépendance avant de définir tout nouveau partenariat international ?
  2. Comment sortir de cette posture humiliante de mendicité (qui me rappelle les considérations justes du feu professeur Leslie F. Manigat) et de supplication permanentes sans résoudre nous-mêmes la problématique sécuritaire posée par les gangs armés ?
  3. Est-il stratégiquement pertinent de se disperser vers des alliances éloignées au détriment de l’évidence de la proximité géographique et des urgences existentielles ?
  4. Ne devrait-on pas d’abord examiner, sans faux-semblants, sans passion mais avec lucidité, les avantages et inconvénients d’une coopération avec un partenaire que l’histoire et la géographie placent à notre seuil, dans une alliance pragmatique susceptible de stabiliser Haïti, de dynamiser durablement son économie, et surtout d’instaurer un nouveau cadre de respect des intérêts communs ?

À ces interrogations, nous répondons sans détour : gagnons d’abord, de manière concrète et durable, la bataille sécuritaire contre les gangs armés, puis osons dialoguer avec les États-Unis d’Amérique dans un rapport d’équilibre qui sera portée par des leviers alternatifs d’influence, forts d’une Haïti unie derrière ce succès. Organisons ensuite des élections pour que les élus élaborent et adoptent un projet national ambitieux, à la hauteur de notre histoire et de nos aspirations, privilégiant notre proximité géographique et nos intérêts sécuritaires communs avec le grand voisin Nord-américain (migration, narcotrafic, etc.), et l’exploitation mutuellement bénéfique de nos ressources naturelles. Mobilisons la force économique et intellectuelle de notre diaspora (1,5 million de personnes) ainsi que de la Jeunesse représentant 65 % de la population active.

« L’unité d’abord vers le pragmatisme ». Tel doit être le nouveau credo d’une Haïti unie et forte enfin tournée vers un avenir que nous souhaitons prospère et durable.

Mickelson THOMAS